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Pour essayer de comprendre. Réforme agraire et tensions ethniques en Europe centrale et orientale - Pologne
Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 16 décembre, 2006 23:22


À discuter :


Réforme agraire et tensions ethniques en Europe centrale et orientale - Pologne


Dans toute l’Europe, occidentale et orientale, l’opinion largement répandue demeure que la conjugaison spécifique entre territoire, langue maternelle, religion et citoyenneté et/ou nationalité constitue le patrimoine immuable et intangible des identités individuelles et collectives.
L’idée d’Etat-nation, se fonde en fait sur la doctrine selon laquelle chaque « nation » doit avoir un État qui lui est propre et chaque État doit n’être composé que d’une seule « nation »
Cette formule a déterminé toute l’histoire européenne depuis le début du XIXe siècle.


Le mythe de la « pureté »

En termes de territoire, ce mot porteur d’événements si tragiques peut aussi s’exprimer de la façon suivante : chaque nation a droit à son propre sol et ce dernier est le monopole d’une seule nation. Il ne faut donc pas s’étonner si les deux derniers siècles ont été marqués, surtout en Europe centrale et orientale où le principe d’Etat-nation n’a pu s’appliquer que bien après l’Europe occidentale c’est-à-dire après la chute des Empires, par l’effort permanent pour homogénéiser ethniquement et culturellement chacun des territoires nationaux. Ces processus de « recomposition ethnoculturelle » ayant pour but de rendre les États nationaux « ethniquement purs » se sont concrétisés par une épouvantable série de révision des frontières, assimilations forcées, expulsions, immigrations prévues et planifiées, déportations, purifications et guerres ethniques, génocides, restaurations et sécessions, série qui, aujourd’hui encore, est loin d’être achevée, en particulier dans les Balkans.

Si l’on cherche à diviser en périodes les divers processus de séparation ethnique dans lesquels furent impliquées presque toutes les Etats-nation d’Europe centrale et orientale durant ces deux derniers siècles, on peut grosso modo distinguer plusieurs vagues dont la virulence se répercutera lourdement sur l’aménagement politique de l’ensemble du continent.

La première toucha surtout les Balkans, juste après la création des premiers États nationaux au XIXe siècle. De larges contingents de populations d’origine turque ou simplement de religion musulmane furent contraints de quitter la région. Il est vrai que les Turcs, en tant qu’administrateurs et fonctionnaires de l’empire ottoman, représentaient l’occupant honni, mais il ne faut pas oublier que l’expulsion concerna aussi ceux qui appartenaient à des couches sociales n’ayant pas grand-chose à voir avec la classe dominante.

La deuxième phase virulente s’étendit de 1913 à 1925 (toujours dans les Balkans mais toucha aussi les Arméniens). Celle-ci se caractérisa par le transfert forcé, mais en même temps reconnu et avalisé par la communauté internationale, de groupes entiers de minorités ethniques. Dans le langage diplomatique d’alors on parlait par euphémisme d’« échange de populations ».

La troisième vague d’« homogénéisation ethnique » a trait à la décennie 1940-1950, principalement marquée par la politique nationale-socialiste d’anéantissement, de transfert et d’expulsion de groupes ethniques entiers ou de ceux considérés comme tels, et par les déportations et les purges staliniennes. Parallèlement à l’holocauste des prétendues minorités transnationales, à savoir les Juifs et les Roms, nous assistons dans toute l’Europe centrale et orientale à d’imposants mouvements de populations qui changèrent de façon notable la carte ethnique de cette partie du continent : 11,5 millions d’Allemands furent expulsés des « provinces orientales » tandis que 3 millions de Polonais, dont 2 millions venaient des régions attribuées à l’Union soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale, s’établissaient en Silésie et dans la partie méridionale de la Prusse orientale. La Pologne se transforma ainsi en un pays presque monoethnique tout à fait conforme à l’idéal de l’Etat-nation. Dans l’immédiat après-guerre, ce sont les traités entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie et entre cette dernière et la Yougoslavie, qui, à leur tour, envisagèrent des échanges de populations réciproques. Enfin, Staline consolida ses « conquêtes » de la partie occidentale de l’Union soviétique grâce à une politique de « mobilité planifiée », c’est-à-dire forcée. Cela signifiait d’un côté la déportation en Sibérie ou en Asie centrale de populations considérées comme « complices de l’ennemi », par conséquent « traîtres à la grande guerre patriotique » (Lettons, Lituaniens, Estoniens, Ukrainiens et Russes Blancs « occidentaux », etc.) et, de l’autre, leur remplacement par des immigrants plus « fidélisables », en grande partie d’origine slave, tels les Russes, ainsi que Biélorusses et Ukrainiens « orientaux ».

Une quatrième vague est toujours en cours dans l’ex-Yougoslavie.


Réformes agraires et « recomposition ethnique »

Sommairement, on sait qu’une réforme agraire implique la redéfinition des titres de propriété foncière au moyen d’une législation de l’État.

La gestion du territoire et, par conséquent, la définition du régime foncier sont des exercices substantiels que presque tous les États nationaux revendiquent depuis leur formation. C’est pourquoi l’instrument législatif de la réforme agraire est le pivot de toute politique territoriale qui cherche à renforcer la cohésion et l’unité nationales.

Pour ce qui concerne l’Europe centrale et orientale, l’exigence d’une réforme agraire naît dans un premier temps de la nécessité de résoudre la question sociale. Endettement et appauvrissement des masses paysannes, usure, surpopulation et chômage, émigration, pulvérisation de la petite et moyenne propriété, persistance des latifundia déterminent depuis le début du siècle des conditions de vie toujours plus précaires dans les régions rurale. Et, venant aggraver cette situation déjà très critique, l’industrialisation beaucoup trop lente se révèle incapable d’absorber le surplus de main-d’œuvre agricole. Ce à quoi il faut ajouter, pour la période de l’entre-deux-guerres, la conjoncture internationale défavorable qui pénalise surtout les prix et les exportations de produits agricoles.


Pologne

À la fin de la Première Guerre mondiale, la Pologne reconquiert sa propre unité nationale après quelque cent cinquante années de domination étrangère. La partition du pays entre l’Autriche, la Prusse et la Russie dans la seconde moitié du XVIIIe siècle avait donné lieu à des régimes fonciers très divers et qui allaient du minifundisme le plus extrême, comme en Galicie (sud-est), au latifundisme le plus ostentatoire, comme en Podolie, Volhynie, etc. (territoires orientaux alors à la limite de l’Union soviétique). De l’époque précédente, l’État polonais recomposé héritait ainsi d’une « question agraire » qui portait essentiellement sur deux termes, à savoir la pulvérisation de la petite propriété paysanne et la concentration de la terre entre les mains de quelques familles aristocratiques. L’indépendance si convoitée imposait donc qu’il y eût aussi une réforme agraire qui garantisse une plus juste répartition de la ressource majeure du pays, c’est-à-dire la terre.

L’un des premiers devoirs des gouvernants de la toute nouvelle Pologne fut donc de lancer une réforme agraire aussi vite que possible. Les premières mesures en ce sens furent prises dans les années vingt, lorsque fut approuvée une loi (amendée en 1925) qui proposait, comme l’énonce le premier paragraphe, de créer des exploitations agricoles fortes, saines et productives, appartenant à titre privé à leurs propriétaires. Cette formule prévoyait la naissance d’une solide classe moyenne de paysans en remplacement de la désastreuse structure sociale héritée du passé et qui se résumait au binôme latifundisme-minifundisme. En vertu de cette loi de la réforme agraire, les propriétés excédant 180 hectares (réduites à 60 ha pour les zones industrielles et augmentées à 300 ha pour les grandes plaines orientales) auraient dû être l’objet d’expropriation et être redistribuées aux agriculteurs sans terre ou avec trop peu de terres. Il ne faut pas oublier qu’en 1921 la Pologne comptait environ 4 millions de travailleurs agricoles sans terre et que 65 % des petits propriétaires possédaient moins de 5 hectares, ce qui, selon les experts de l’époque, correspondait à une quantité de terre inférieure au minimum nécessaire à l’entretien d’une famille.

Sans entrer dans les détails, ajoutons que la réforme agraire polonaise, malgré son indéniable ampleur, n’atteindra jamais le but pour lequel on l’avait initiée, à savoir apporter une solution à la « question agraire » comprise comme « problème social ». Le fléau du minifundisme se verra partiellement atténué mais jamais vaincu, alors qu’à travers l’expropriation et la liquidation des terres les moins fertiles, le latifundisme sera réorganisé et consolidé. Déjà en 1928, un expert polonais notait que la réforme agraire devait être considérée comme une pure « stratégie d’apaisement » envisagée pour éviter d’alarmer les grands propriétaires et calmer la séculaire insatisfaction des campagnes [Lifszyc 1928]. C’est pourquoi, dans un premier temps, elle fut une mesure démagogique destinée à détourner les paysans des tentations de rébellion, pour ne pas dire révolutionnaires, insufflées par la toute proche Union soviétique.

Pourtant, Max Sering, spécialiste émérite allemand des mutations dans les campagnes d’Europe centrale et orientale, faisait remarquer en 1930 un autre phénomène inquiétant. Il soulignait que la réforme agraire polonaise s’était progressivement transformée en un puissant instrument de discrimination des « minorités nationales ». Selon cet auteur, d’un côté on favorisait l’expropriation de terres appartenant aux latifundistes d’origine étrangère, tels les Junker allemands détenteurs de grandes propriétés dans ces territoires qui, après cent cinquante ans sous domination prussienne, avaient été rendus à l’État polonais reconstitué, au lendemain de la Première Guerre mondiale. De l’autre, on tendait à exclure de la distribution de la terre ceux qui, bien qu’ils pussent bénéficier de la réforme agraire pour des raisons socio-économiques, étaient « étrangers » ou « ethniquement étrangers ». De cette façon, on promouvait la création d’une propriété terrienne petite et moyenne où prévalait l’élément national, donc la population d’origine polonaise.

L’utilisation de la réforme agraire à des fins nationalistes ou plutôt en vue de renverser les équilibres interethniques entre population allemande et population polonaise en faveur de cette dernière peut donc être interprétée comme n’étant pas une simple mesure de discrimination envers une minorité nationale. Dans l’optique polonaise, elle est aussi et surtout une riposte aux torts subis à cause de la politique de germanisation et d’établissement rural promue par Bismarck. Même si l’argumentation de Sering peut être suspecte de partialité, elle met à nu des problèmes réels qui, jusqu’à ce qu’éclate la Deuxième Guerre mondiale, étaient particulièrement brûlants, notamment dans les territoires orientaux, à savoir ces régions qui, pour une large part, furent attribuées à la Pologne après sa victoire militaire sur l’Union soviétique, sanctionnée par la paix de Riga (1921). Il est notoire qu’aux frontières orientales de la Pologne coexistaient depuis des siècles des populations très différentes les unes des autres par la langue, la culture et l’appartenance religieuse : Lituaniens catholiques, Biélorusses orthodoxes, Tartares musulmans, Juifs, Roms, etc. Mais la présence la plus significative, outre les Polonais eux-mêmes, était sans doute celle des six millions d’Ukrainiens. On sait également que, entre les deux guerres mondiales, il régnait en Pologne un sentiment de méfiance et de mépris à l’encontre de ces populations considérées comme « inférieures », « ignorantes », « peu civilisées », etc. Ce n’est donc pas un hasard si, à cette époque, la Pologne était le « mouton noir » pour ce qui est du respect des droits des minorités. En effet, entre 1920 et 1931, l’État polonais était largement en première position en ce qui concerne les pétitions liées à la violation des accords de protection des minorités reconnus par la Société des Nations à laquelle il était échu de veiller à la réelle application des traités conclus à la fin de la Première Guerre mondiale.

C’est dans cette atmosphère de nationalisme exacerbé que fut mise en œuvre la réforme agraire. Néanmoins, le nationalisme polonais était alors plutôt un phénomène urbain, diffusé essentiellement parmi les élites du pays, soit parmi les intellectuels et l’aristocratie terrienne – la Szlachta. Dans les campagnes – et cela vaut de façon particulière pour les territoires orientaux – l’idée d’appartenir à un « groupe ethnique » spécifique ou à une « nation » ne s’était pas encore véritablement imposée. L’habitant commun des confins de la Pologne et de l’Ukraine était généralement indifférent à la rhétorique de la « supériorité nationale » utilisée par les classes socialement plus élevées. Pour les citoyens de Galicie, Polésie et Volhynie, il s’agissait là de « polémiques d’aristocrates », et ils se définissaient comme « les gens d’ici » sans faire allusion aux catégories ethniques. Quand, vers 1930, on demanda à une paysanne de Polésie quelle langue elle parlait, elle répondit sans hésiter : « Nous ici, nous parlons […] à la manière d’ici », faisant allusion à une forme dialectale à mi-chemin du biélorusse et de l’ukrainien, farcie d’expressions russes et polonaises. Le polonais, en revanche, est la « langue des seigneurs » qui confère à celui qui la parle moins une identité nationale qu’une appartenance à une classe ou à une couche sociale supérieure.

Au sein de la population rurale des territoires orientaux perdurait jusqu’alors une pratique parfaitement éprouvée de bilinguisme, pour ne pas dire trilinguisme, et d’hybridation linguistique qui convenait mal à l’édification de frontières ethniques très définies et très rigides. Ce qui faisait dire à Jozef Chalasinski [1938], célèbre sociologue rural polonais et grand connaisseur de la Polésie, que, dans la vie quotidienne, le paysan polonais était plus proche du paysan ukrainien que de l’intellectuel de Varsovie ou de Cracovie.

Dans cet article il n’est pas souhaitable de chercher quand et comment dans les campagnes de Pologne orientale ont commencé à circuler et fonctionner les « discours ethniques ». C’est pourquoi on se contentera de reprendre l’hypothèse, plausible, d’Édouard Conte, selon laquelle ce sont les pratiques religieuses et liturgiques spécifiques des catholiques romains, orthodoxes et gréco-catholiques, qui se révèlent être les piliers identitaires et les indicateurs culturels grâce auxquels on peut situer les individus, fixer leurs appartenances et, en définitive, percevoir leurs différences ethniques ou nationales. Il semble que l’« ethnicité » se soit en l’occurrence construite dans ou autour des églises de village.

La réforme agraire polonaise ne peut ainsi être retenue comme origine des processus d’ethnicisation qui, entre les deux guerres, caractérisent les campagnes situées aux confins orientaux de ce pays. Elle permettra toutefois que se précisent et se creusent les frontières ethniques, rendant toujours plus problématiques les relations entre les groupes à travers ce que l’on peut définir comme la « polonisation agraire ». La réforme foncière deviendra l’un des vecteurs d’une vaste stratégie d’homogénéisation ethno-culturelle qui, en 1937, finira par être un pilier de la politique officielle du gouvernement lequel se propose, entre autres, de gagner à sa cause la « minorité slave – sous-entendu les paysans ukrainiens – à travers l’assimilation des masses » [Qui sera finalement réalisée par le régime communiste après 1945 avec l’Acja Wisla]. Il est donc du devoir de la réforme de redistribuer la terre selon la « préférence nationale ». Les bénéficiaires de la loi de 1920 sont surtout des Polonais (paysans, colons, vétérans de guerre) qui récupèrent la terre de leurs propres « compatriotes », ou plutôt latifundistes.

En Galicie orientale (ou, si l’on préfère, en Ukraine occidentale), sur 460 000 hectares assignés, seuls 27 000 furent répartis entre agriculteurs d’origine ukrainienne. Ce sont alors 94 % de la terre à partager qui sont alloués suivant le principe de la préférence nationale, bien que la région en question héberge en majorité une population rurale ethniquement considérée comme non polonaise. Même revues à la baisse, ces données témoignent pourtant d’une certaine tendance à répartir la terre en faveur des Polonais, et ce, au détriment des membres d’autres groupes ethniques.

Pour toutes ces raisons la réforme agraire fut perçue par les cultivateurs ukrainiens comme un acte arbitraire de « colonisation ». À quoi il faut ajouter l’amertume vis-à-vis des politiques d’assimilation et d’exclusion qui restreignaient progressivement l’enseignement bilingue et l’accès à l’emploi dans la fonction publique à ceux que l’on classait dans l’ethnie ukrainienne. Bien entendu, intégrée aux autres mesures déjà évoquées, la réforme agraire contribua de façon notable à attiser les oppositions nationalistes et à exacerber les antagonismes interethniques. Raison pour laquelle, dans les vingt années de l’entre-deux-guerres, les tensions entre groupes ethniques s’intensifièrent après que la polonisation « territoriale » lancée par la réforme agraire et la polonisation « culturelle » prônée par d’autres dispositions gouvernementales eussent incité les paysans ukrainiens à riposter en employant des formes de résistance tantôt pacifiques tantôt violentes.

Dans cette atmosphère d’hostilité croissante, le mouvement coopératif joua un rôle de premier plan pour organiser l’opposition, surtout l’opposition non violente. Les masses rurales ukrainiennes se pressèrent autour des associations coopératives qui, en Galicie, passèrent de 580 en 1921 à 4 000 en 1939, réunissant quelque 700 000 adhérents. Le programme de ces associations rurales ne s’attacha pas aux seules activités socio-économiques « classiques », telles l’amélioration des compétences professionnelles des agriculteurs ou l’édification de réseaux commerciaux pour la vente des produits, alternative à ceux que monopolisaient et manipulaient des intermédiaires le plus souvent polonais ou juifs, mais visa aussi à propager et préserver, parmi ses membres, la culture et les traditions nationales. C’est ainsi que les coopératives, groupements créés en principe pour promouvoir la solidarité horizontale des paysans les plus indigents, se transformèrent bientôt en organismes à caractère ethnique au sein desquels on encourageait et gérait le discours sur l’identité nationale ukrainienne.

Parallèlement à ces formes de résistance à la polonisation territoriale et culturelle, des groupes de paysans ukrainiens s’unissaient et optaient pour la lutte armée. Au cours de l’été 1930, on commença à assister à de véritables actions de guérilla rurale. Des actes de sabotage mirent à feu et à sang des résidences d’aristocrates, des demeures villageoises et des récoltes appartenant aux Polonais exécrés. La réplique du gouvernement ne se fit pas attendre et la police et l’Armée exercèrent une dure répression dans quelque 800 villages à majorité ukrainienne et dont on suspectait les habitants d’être auteurs ou plus ou moins complices des violences.

La réaction des Ukrainiens fut, elle aussi, foudroyante : une série d’attentats et d’assassinats perpétrés par l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) secoua la région et fut suivie à son tour d’une réponse du gouvernement plus dure encore. Les communes ukrainiennes furent placées sous tutelle et soumises à une administration directe. En outre, en 1930, on révoqua les accords internationaux de 1919 qui garantissaient la protection des minorités, tandis qu’en 1934, à Bereza Kartuska, on ouvrit (sur le conseil direct et « compétent », dit-on, de Joseph Goebbels), un camp de concentration dans lequel furent relégués 2 000 opposants politiques, dont une bonne part d’origine ukrainienne. En 1938, après une période de calme empreinte de tensions, l’exécutif de Varsovie augmenta encore la pression sur les paysans ukrainiens des territoires orientaux.

Cependant, dans les campagnes, les relations interethniques continuent à se détériorer. Aux formes violentes de résistance des paysans ukrainiens, les colons polonais – surtout les jeunes – répondent par la formation de groupes d’autodéfense locaux et de bandes irrégulières qui mettent sens dessus dessous les villages à majorité ukrainienne. Le début de la Seconde Guerre mondiale interrompra cette spirale d’hostilité interethnique, en introduisant une autre bien plus tragique. Toutefois la chute de la république polonaise et l’arrivée des troupes allemandes et soviétiques n’inquiéteront pas les paysans ukrainiens.

Au contraire, nombre d’entre eux accueilleront les envahisseurs et surtout la Wehrmacht avec les traditionnels cadeaux de bienvenue : le pain et le sel. Les traumatisantes mutations géopolitiques intervenues durant le conflit mondial et lors des premières années qui suivirent la fin de ce conflit ont fait que ne se reproduira pas le statu quo ante ; elles ont néanmoins été perçues par la population des territoires orientaux de la Pologne plus comme une forme de continuité que comme une rupture avec le passé et par conséquent avec la réforme agraire d’avant-guerre.


L’étude de ce cas en Pologne nous indique en premier lieu comment les réformes agraires mises en œuvre entre les deux guerres mondiales en Pologne, et entendues comme instruments législatifs aptes à résoudre la question sociale et, par la même occasion, la question agraire, ont été réalisées essentiellement dans l’intention de nationaliser le territoire de régions ethniquement complexes depuis des siècles en tentant de les transformer en un espace monoethnique. Elles furent donc très utiles aux nationalismes exacerbés et opposés qui s’affrontaient à l’époque. Le processus examiné généra, au moins en partie, les conditions sociopolitiques nécessaires au développement de discours ethniques fortement antagonistes et amorcèrent parallèlement des procédures d’« autoethnicisation » et d’« hétéroethnicisation ». Jusqu’alors, ces phénomènes s’étaient manifestés de manière moins articulée et plus salutaire, même s’il serait erroné de croire que, avant les réformes, les relations entre les divers groupes ne connaissaient ni frictions ni contradictions. Même si au quotidien elle n’était vécue et perçue que de façon embryonnaire, l’« altérité » posait déjà de nombreux problèmes de convivialité entre les différentes communautés.


Extrait de l’article de Christian Giordano
Traduit de l’italien par Éva Kempinski
Article complet : [etudesrurales.revues.org]



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Re: Pour essayer de comprendre. Réforme agraire et tensions ethniques en Europe centrale et orientale - Pologne
Posté par: René (IP Loggée)
Date: 20 décembre, 2006 11:39

L'état polonais se reforme en 1918 avec une vision de sa frontière d'avant la partition de 1772 qui constitue dans la mentalité polonaise, la frontière.Ce sont les confins ou krysy, fin de terre, fin de l'europe.

Mais l'éveil des nationalités inexistantes en 1772 et même souvent en 1872 dans ces vastes territoires qui n'ont pas de limites géologiques pouvant les borner, fait que la réalité territorial n'est plus compatible avec les mentalités de 1918.

L'état polonais installe en Galicie un état avec des citoyens qui ont combattu sous l'uniforme du Tsar, de Skoropadsky, de Petloura, et contre les polonais.

De plus la Galicie est polonaise principalement dans les villes, Lwow, par exemple.

Même si le gouvernement polonais avait tenté une politique plus proche de l'ethnie ukrainienne, il était trop tard.

Les polonais seront victime de la purification ethnique d'une tout autre violence, par les sovietiques en masse en 1940, puis entre 1945 et 1947.

Pour le camps de concentration, il s'agit d'un camp de concentration de prisonnier avec un jugement et non pas d'un camp de concentration de civils sans jugements, comme ceux des anglais en afrique du sud contre les boers.


Re: Pour essayer de comprendre. Réforme agraire et tensions ethniques en Europe centrale et orientale - Pologne
Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 20 décembre, 2006 13:48

René Ecrivait:
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>
> L'état polonais installe en Galicie un état avec
> des citoyens qui ont combattu sous l'uniforme du
> Tsar, de Skoropadsky, de Petloura, et contre les
> polonais.

... Ce qui entraina un déséquilibre très/trop rapide (vu comme une invasion ?) et source de ressentiments : des villages 100% ukrainiens en 1921 comptaient un minimum de 10% de « colons » polonais (jusqu’à un maximum 40%) en 1939. Faut-il ajouter que les Polonais seuls pouvaient prétendre à des postes d’importance dans la vie locale (maire …). La police, exclusivement polonaise, était présente dans tous les villages, même les plus petits.
Quant à l’enseignement, seul les écoles primaires enseignaient en langue ukrainienne. Les études secondaires et supérieures n’étaient accessibles qu’aux polonophones qui étaient rarement fils de paysans.



> De plus la Galicie est polonaise principalement
> dans les villes, Lwow, par exemple.

La Galicie orientale l’est (re)devenue après la conférence des ambassadeurs en 1923 … mais avec un statut spécial par lequel la Pologne s’engageait à respecter son autonomie et à organiser un référendum après 20 ans. Si la deuxième disposition ne put être tenue à cause de la 2de guerre, la première ne fut jamais respectée dès le début.



> Même si le gouvernement polonais avait tenté une
> politique plus proche de l'ethnie ukrainienne, il
> était trop tard.

Je ne partage pas tout à fait cet avis. De nombreuses tentatives de rapprochement furent faites dans les années 1920 et début 1930 par des politiques tant ukrainiens que polonais, mais n’aboutirent pas à cause de l’aveuglement de Varsovie. Si l’UVO ukrainienne à laquelle succéda l’OUN en 1929 prirent tant d’importance, c’est à la suite des mesures « Dmowskistes » des politiques polonais qui prirent le pas sur les vues autrement plus larges défendues par le Maréchal Pilsudski. Il faut remarquer que les héritiers du Maréchal, s’ils se réclamaient de lui, n’en adoptèrent pas moins les idées de son grand rival. Avec pour conséquences bien connues la répression des minorités et les paroxysmes sanglants qui eurent lieu par la suite.



> Les polonais seront victime de la purification
> ethnique d'une tout autre violence, par les
> sovietiques en masse en 1940, puis entre 1945 et
> 1947.

Evidemment, c'est vrai.
Pourquoi ne pas non plus évoquer le massacre de 50 000 Polonais de Volhynie en 1943 (nombre horrible accepté aujourd’hui après bien des extrêmes). Cette explosion de violence de la population ukrainienne, si elle fut déclenchée par certains chefs locaux de l’UPA ukrainienne, fut surtout le fait de civils. Ce massacre fut, en partie, la conséquence de la politique de colonisation du gouvernement polonais … sans qu’il s’agisse pour autant d’excuser l’inexcusable.

Dans un rare et sincère récit par un auteur de génocide, Waldemar Lotnik, un jeune Polonais, raconte avec une stupéfiante clarté sa vision de la terreur causée par les nationalistes ukrainiens en 1943, et son retour pour tirer vengeance en temps que soldat d’une unité nationaliste polonaise en 1944-45. Bien qu’il était du côté polonais, Lotnik rend compte que les atrocités pouvaient être attribués aux deux camps, ukrainiens et polonais.
« Les Ukrainiens ont réagi en expulsant une colonie polonaise entière, mettant le feu aux maisons, tuant ceux des habitants qui refusaient de fuir et violant les femmes qui leurs tombaient dans les mains, peu importe si elles étaient jeunes ou âgées. Ce fut ce qui arriva couramment à l’est du Bug où des dizaines de milliers de Polonais ont été expulsés ou assassinés. Nous avons riposté en attaquant un village ukrainien de même taille et … avons tué femmes et enfants. Quelques uns de nos hommes étaient si aveuglés par la haine qu’ils voulaient rendre œil pour œil, dent pour dent … Ceci montre à quel point les combats devenaient plus sauvage. A chaque instant, des gens étaient tués, des maisons brûlées, des femmes violées. »
[Jeffrey Burd – Ethnicity & Memory (2001)]


La 27e Division « Volhynie » de l’AK prit particulièrement part à ces mesures de représailles et provoqua la mort de 10 à 20.000 Ukrainiens, tout aussi innocents que les dizaines de milliers de Polonais tués auparavant.



> Pour le camps de concentration, il s'agit d'un
> camp de concentration de prisonnier avec un
> jugement et non pas d'un camp de concentration de
> civils sans jugements, comme ceux des anglais en
> afrique du sud contre les boers.

D’après ce que je sais, l’ouverture de ce camp avait pour seul but, non l’internement de personnes condamnées, mais l’isolement d’opposants au gouvernement. On y retrouvait aussi bien des communistes que des activistes d’extrême droite … et des opposants nationalistes. Le chiffre de 2.000 détenus concerne le nombre total des détenus depuis l’ouverture du camps jusqu’en 1939. En fait, il y eut au maximum 500 détenus en même temps dans ce camp. Le taux de mortalité fut très faible mais les mauvais traitements n’étaient pas rares. La vérité oblige à dire que ceux dont l’état de santé était trop délabrée étaient libérés afin qu’ils décèdent dans leur famille et non en détention.


Est-il nécessaire d’ajouter que le concept d’Etat nation ( = Etat composé d’une seule nation ou un seul Etat par nation) était partagé à la fois par les Polonais d’alors et les nationalistes ukrainiens de cette époque ?



...............

http://www.klub-beskid.com/ibergeur/Upload/images/sonnezzjz.jpg

Re: Pour essayer de comprendre. Réforme agraire et tensions ethniques en Europe centrale et orientale - Pologne
Posté par: René (IP Loggée)
Date: 20 décembre, 2006 14:42

Le concept d'état nation à la vision polonaise est il est vrai une vision de Dmowski en opposition à Pilsudski.

Mais il n'est pas evident que Pilsudski ait pu appliquer ses idées dans la mesure même ou elle était applicable.
La reforme agraire qui se fait attendre depuis Kosciusko n'est pas mise en place par Pilsudski. Lors de l'avancé de l'armée polonaise en Ukraine en 1920, les grands propriétaires fonciers reprennent en main leurs domaines et leurs terres.
Ces grands propriétaires ont aussi une influence sur des pays puissants comme les USA, l'angleterre et la France de part leurs réseaux.
Ils sont des lobbistes puissants.

L'attribution de terre dans les confins sont aussi une récompense aux légionnaires et vétérans comme récompense de 6 ans de lutte pour la patrie, ainsi qu'une forme d'ossature de confiance de colons militaires à l'image de ce que faisait les turcs en Europe avant le 17ème siècle.

De plus les ressentiments sont nombreux et si les polonais sont devenus (surtout en 45) une nation très homogène, les divisions et les ressentiments sont nombreux, les factions nombreuses.
Dmowski n'a jamais été un ennemi définitif du regime tsariste russe, et sa façon de percevoir les non-polonais ressemble un peu à la façon dont les élites russes voyaient les non-russes.



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