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Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 23 avril, 2016 06:30

Bonjour,

Je m'accroche. Je n'ai pas craqué. Je suis toujours dans mon roman, jusqu'au cou, dans les moments où l'horreur ne me submerge pas. Le moral n'est pas toujours au top, la santé loin de là. Mais comment renoncer, quand on a commencé à écrire un roman ? Surtout un pavé de cette taille ?

C'est, en psychologie sociale, ce qu'on appelle l'escalade d'engagement. Mais passons. De temps en temps, quand je trouve le courage de m'y remettre, je viens vous voir. Profitons-en pendant que ça dure ! J'en suis à plus de 400 pages et peu à peu, je ne désespère pas d'écrire un jour le mot "fin"...

J'en viens à ce 17 avril 1942, cette nuit au cours de laquelle une cinquantaine de personnes ont été exécutées, très probablement par les sbires du SD, ou en tous cas, des SS, assistés je pense par la police Juive.

Qui pourrait me dire pour quelles raisons, en quelles circonstances, qui furent les victimes, dans quelle partie du ghetto cela s'est passé, etc ?

Je crois savoir qu'au départ, il s'agissait d'un Wolksdeutsche en affaire avec des Juifs, qui leur devait de l'argent et a décidé qu'il était plus simple de les faire éliminer. Mais là s'arrêtent mes connaissances.

Bien évidemment, si dans l'intervalle je trouve les réponses, je ne manquerai pas de vous les communiquer.

Au plaisir de causer encore avec vous,

Ubik83

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 23 avril, 2016 20:14

Dans la nuit du 17 au 18 avril 1942, la Gestapo assassina 58 Juifs dans les rues du Ghetto ; il s'agit de la première action de terreur organisée sur le terrain du quartier fermé.

Extrait de KHURBM VARSHE.
L’ANÉANTISSEMENT DE LA VARSOVIE JUIVE
par Yehoshua PERLE

En fait l’immense désastre a débuté le 17 avril 1942. C’était un vendredi.
Des rumeurs très alarmantes s’étaient répandues dans la rue. On ne
savait rien de précis. Mais à six heures du soir, toute la population juive
s’efforçait déjà par tous les moyens de rentrer chez soi. Les rues étaient
vides comme la veille du Kippour avant “Kol Nidré”4. On voyait que les
visages des passants étaient défigurés par la frayeur et la terreur. Que l’on
pouvait également déduire des trottoirs vides, des maisons verrouillées et
même de la présence des masses de mendiants affamés qui s’enfuyaient
pour regagner à temps leurs tanières.
Et c’est au milieu de la nuit du vendredi au samedi que tout a commencé.
Les bourreaux allemands sont descendus dans le ghetto, frappant à la porte d’entrée de tel ou tel bloc d’immeubles (et lorsque le concierge – un Juif s’entend – n’ouvrait pas immédiatement la porte, il était abattu sur place).
Les bourreaux se sont précipités dans les logements juifs dont ils ont
extrait de force une cinquantaine de personnes, hommes et femmes. Ils
leur ont intimé ensuite l’ordre de descendre dans la rue, de faire quelques
pas et puis, tirant aussi bien par devant que par derrière, ils les ont abattus
d’une balle dans la tête. Comme des chiens. Il n’y avait guère de rue où
ne gisaient des victimes, étendues sur le pavé, couchées à terre comme des
chiens crevés.
Cinquante-quatre cadavres abandonnés, allongés dans le caniveau1.
Cinquante-quatre cérémonies d’obsèques se sont déroulées le lendemain
matin après qu’on eût traîné les cadavres en catimini jusqu’au cimetière
de Gensia2 qui se trouve à l’extérieur du ghetto et dont nul ne peut s’approcher
sans une autorisation spéciale.
C’est à partir de ce vendredi soir-là que l’on a commencé à assassiner
la population juive en pleine nuit.
Pas une nuit ne s’écoulait sans qu’une dizaine de personnes n’y perdissent
la vie. Les victimes appartenaient à toutes les classes sociales et à
toutes les professions.
Ils tiraient de l’autre côté du mur, ces chiens d’Hitlériens. Au milieu de
la rue et en visant la tête. Abandonnaient leurs victimes à côté d’une porte
cochère ou dans le caniveau pour disparaître aussitôt. Et les entreprises
juives de pompes funèbres – qui proliféraient comme des champignons
après la pluie – d’évacuer ensuite les victimes. Et les concierges juifs de
nettoyer les trottoirs inondés de sang.

On rêve comme des anges ; on vit comme des porcs
[chezalcide.wordpress.com]

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 24 avril, 2016 15:05

Oui, je suis tombé sur ce texte, bien que n'ayant pas encore eu le temps de l'éplucher.
Des raisons particulières, pour ce massacre, ou bien les sbires du SD s'en sont pris à des inconnus ?
Je continue de chercher. Je vais lire le texte de ce monsieur, qui va sûrement m'apprendre plein de choses sur le ghetto et sa vie quotidienne.

Merci beaucoup !

A suivre...

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 24 avril, 2016 16:05

Ils semblent avoir tué au hasard, mais l'intention de créer la panique pour désagréger moralement cette population déjà durement éprouvée est bien dans les méthodes de ces assassins.

On rêve comme des anges ; on vit comme des porcs
[chezalcide.wordpress.com]

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 24 avril, 2016 18:20

hello,

Cela ne m'étonnerait pas. Mais comme je l'ai dit en introduisant ce sujet, il y aurait eu une histoire d'argent.
Cela dit, je suis prêt à parier que les sbires du SD, de la SS ou autres, ne cherchaient pas trop à comprendre quand on leur disait d'aller massacrer du monde.
Apparemment, cela se produisit de nuit. Soit. J'imagine que je n'aurai aucun mal à construire une telle scène. Me manquent les noms de rues, si quelqu'un sait... Sinon tant pis, j'improviserai.
N'importe comment, n'ayant aucun document décrivant les faits de façon vraiment détaillée, je serai bien obligé de me débrouiller ! Tant que j'en ai le courage...

Merci. On suit l'affaire, si ça bouge. Au plaisir...

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 24 avril, 2016 18:49

N'oublions pas que les Allemands avaient une peur bleue du typhus qui sévissait dans le Ghetto et préféraient y envoyer leurs supplétifs qui commettaient toutes sortes d'exactions, y compris des jeux macabres aux dépens de gens affaiblis et désarmés.
On pourrait dire que leurs incursions étaient assez espacées.

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Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 24 avril, 2016 19:12

Parmi les victimes du "vendredi noir" :

Jerzy Neuding, avocat et militant du Bund avec d'autres compagnons.
Antoni Oppenheim, arrêté puis assassiné le 17 avril.

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Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 24 avril, 2016 20:15

Ah, ok, super. Comment, par quel biais, cette information, si ça n'est pas indiscret ?
Effectivement, j'avais entendu dire qu'il y avait pas mal de gens dans les victimes, venant des milieux syndicalistes ou militants.

Que mes personnages participent ou pas, il faudra bien que mon narrateur en dise quelques mots.

A suivre... merci.

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 24 avril, 2016 20:52

Stratégie commune aux nazis et autres communistes : élimination préventive de tous ceux qui détiennent de par leur position sociale ou autre une bribe d'autorité.
Ensuite, on s'occupe des désorganisés.
J'ai trouvé ces éléments sur un site polonais.

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Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 24 avril, 2016 22:19

Ah, ok. Voilà ce qui me manque : je suis incapable de lire ou comprendre le Polonais. Ni l'Allemand non plus. Avec le roman auquel je me suis attaqué, ça frise le handicap...
Mais bon, ai-je le choix ? Un roman, quand on le commence, il faut le terminer, sinon, on ne peut plus jamais se regarder en face.

Merci de l'info. Je vais voir si je peux traiter ça de façon convenable. En cas, je posterai un extrait, enfin, si ce qui en résulte ne fait pas seulement dix lignes.

On continue...

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 06 mai, 2016 04:18

Bonjour,

Pour me tirer d'embarras, j'ai pris le parti de faire en sorte que mon personnage ignore totalement pourquoi ce massacre. N'importe comment, il est tellement habitué à tuer des gens sans se poser de questions... En plus, il consomme constamment de l'alcool pour tenir le coup, et de la Pervitine - métamphétamine inventée par les laboratoires Temmler et utilisée largement dans l'aviation et les blindés - que ses réactions sont toutes faussées.
Comme je le disais, je ne peux pas, de toutes façons, traiter dans le détail tout ce qui se produit à cette période, sinon mon roman paraîtrait en 12 tomes ! J'en suis déjà à 400 pages format A4, interligne 1, ce qui laisse présager un gros pavé une fois au format de poche...
Je joins donc à mon message l'extrait en question... Tant qu'à faire... Ainsi vous aurez une idée de l'ambiance - lugubre - de ce roman et de l'épreuve que c'est pour moi de l'écrire. Cela dit, depuis peu je retrouve la motivation, et la confiance en moi. Je pense que d'ici cet été, ou septembre au maximum, je devrais l'avoir terminé, sauf éventuelle replongée dans l'apathie et la dépression.
Voici le texte :

Avril. Le printemps débutait. Sur les avenues, les arbres qui n’avaient pas trop souffert des bombardements se mettaient à bourgeonner. La vie se maintenait, malgré tout.
Les journées de travail étaient épuisantes. Je tenais grâce à mon mélange, alcool et pervitine.
Un soir, alors que j’étais fin saoul, un remue-ménage me tira de mes rêveries embrumées. J’entendais piétiner dans les couloirs. Des ordres, des cris. Je me levai pour aller voir. Je croisai Franz, qui me lança :
- Opération de nuit, mon joli ! Tu es prêt ?
- Comme toujours.
J’avais répondu mécaniquement, mû par un réflexe d’obéissance, profondément ancré. Mais en réalité, je n’avais qu’une envie : m’effondrer à nouveau, sombrer, dormir. Les cachets blancs ne pouvaient faire des miracles. Le produit dopait l’organisme mais à un moment donné, il fallait bien rattraper le déficit. Souvent, en pleine journée, j’avais des absences, ou même, brusquement, je perdais connaissance. Depuis que je m’en étais rendu compte, j’évitais de conduire. Quand on partait pour une Aktion, je m’installais à l’arrière et confiais cette tâche aux hommes de troupe.
C’est ainsi que, ballotté, somnolent, je me laissai emporter vers le ghetto.

Nous étions une bonne douzaine, plus huit ou dix feldgendarmes. On roulait lentement, les réverbères décalquaient nos ombres noires et menaçantes, démultipliées, sur les murs de briques.
Sitôt les portes franchies, mes collègues sortirent leurs armes. Malgré le couvre-feu, des Juifs se trouvaient encore dans les rues. Avec précision, mes hommes les abattaient. Les rares passants fuyaient. Par deux fois, on roula sur des corps. Mes collègues s’amusaient à des concours de tirs. Comme dans un rêve, je les entendais dire : « Regarde, le petit vieux, au fond : je te parie que je le descends avant toi » !
Pour ma part, je me bornai à observer leurs jeux, oscillant entre dégoût et indifférence, au gré de je ne sais quelles fluctuations d’humeur.

Puis, le convoi ralentit. Les portières claquèrent. Je me levai, titubant, courbaturé. Nous étions face à un immeuble de six étages. Les feldgendarmes se déployaient, encerclant la bâtisse. J’allumai une cigarette et demandai à mon ami :
- Qu’est-ce qu’on fiche là ?
- On vient casser du Juif.
- Oui mais pour quelle raison ?
Il haussa les épaules :
- Est-ce que je sais ! Peut-être qu’un gradé est au courant, mais moi… Et puis je m’en fous !
On ouvrit à grand fracas. Un escalier en bois gémit sous nos bottes. La troupe se lançait à l’assaut des marches, frappait les portes en hurlant, sortait les gens par la peau du cou. L’affaire fut rondement menée. En quelques minutes, tout le monde était dehors, aligné contre la façade. Il y avait là une soixantaine de personnes, environ. Je remarquai en passant une vieille femme, en robe de chambre et pantoufles. Elle avait des jambes maigres et pâles, osseuses. J’enregistrai ces détails confusément, mais déjà l’unité se reculait, les mettant en joue. Je fis de même. Les déflagrations trouèrent la nuit épaisse. Elles lançaient des lueurs fugaces qui dessinaient sur le ciment la silhouette des Juifs train de s’effondrer. L’odeur de poudre m’entourait, encore et toujours, omniprésente.
C’était fini. Au pied du mur, ceux qui, un instant auparavant, inspiraient leur dernière goulée d’air, étaient maintenant en tas, les uns sur les autres, baignés de sang. Pourquoi eux, ce soir-là ? A cet instant, je pris conscience que je n’avais tenu aucun compte de mes victimes. A combien en étais-je ? J’eus beau fouiller ma mémoire vacillante, je ne parvins qu’à une estimation bien vague. J’avais certainement tué plus de mille personnes. A mon avis, mon score se situait entre cinq mille et dix mille. Environ.

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Mik (IP Loggée)
Date: 06 mai, 2016 21:01

Astucieuse façon de botter en touche : tu ne connais pas les raisons du massacre ? Tes héros non plus, et de plus ils s'en foutent.

Mik

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: jan marek (IP Loggée)
Date: 06 mai, 2016 22:32

http://www.klub-beskid.com/ibergeur/Upload/images/nuit1718av.jpg

Source :
[books.google.fr]

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Vendôme (IP Loggée)
Date: 06 mai, 2016 22:36

Juste une parenthèse concernant la Pervitine mentionnée par ubik83 dans son extrait ci-dessus, et dont l'usage massif a été utilisé pour la première fois lors de l'invasion de la Pologne.

RMC Découverte a diffusé il y quelques mois un sacré documentaire sur cette méthamphétamine ultra-puissante, dont se bourraient les Allemands (au point d'en devenir dépendants).




On comprend mieux une des raisons longtemps occultées des avances foudroyantes de la Wehrmacht...

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cлава Україні 🇺🇦🇺🇦

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: jan marek (IP Loggée)
Date: 06 mai, 2016 22:41

Confirmation :
Cette presse (clandestine) a même réussi à survivre à la « nuit sanglante » du 17 au 18 avril 1942 qui a fait énormément de victimes dans le milieu des publications clandestine que les nazis ont tenté d’éradiquer.
[actadiurna.over-blog.com]

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 06 mai, 2016 22:42

Mik a écrit:
-------------------------------------------------------
> Astucieuse façon de botter en touche : tu ne
> connais pas les raisons du massacre ? Tes héros
> non plus, et de plus ils s'en foutent.
Il s'agissait d'une action concertée qui s'étendit à d'autres ghettos.

On rêve comme des anges ; on vit comme des porcs
[chezalcide.wordpress.com]

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: jan marek (IP Loggée)
Date: 06 mai, 2016 22:43

Donc si tu veux trouver ton sommeil (demain matin) pas de Pervitine ce soir...
winking smiley

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Vendôme (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 00:16

... du boogie-woogie, je peux, mon Père ?

----------------
cлава Україні 🇺🇦🇺🇦

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 13:57

(Attention, réponse longue)

Bonjour,

Oui, je botte en touche, comme vous dites. Et j'y suis obligé. Pour plusieurs raisons :

Tout d'abord, quand ce roman s'est imposé à moi, mon premier mouvement a été de reculer. Je ne voulais pas. Je savais le sujet douloureux, complexe, polémique. Mais il m'a harcelé, et j'ai fini par céder. Et encore, du fait que mes personnages fassent partie du SD, je n'ai pas eu à traiter du sujet des camps. Je crois que je n'aurais pas pu : quand j'ai commencé ce roman, il y a plus de sept ans, j'étais un autre. En phase ascendante. Mais depuis, des épreuves me sont arrivées, et je ne suis plus le même. Je m'efforce de finir, mais avec de grandes difficultés. J'ai rempli un contrat moral : quand on commence un roman, on doit le terminer.

Je me suis engagé, dès le début, quand j'ai commencé à écrire. Depuis toujours, j'ai inscrit ma démarche d'écriture dans ce qu'on nomme le Roman Noir, genre engagé s'il en est, qui dénonce les travers de la société, qui montre crûment, qui met en scène de façon souvent très sombre. Il est logique, au bout d'un moment, que je finisse par traiter ce thème.

Mais je ne peux le faire de façon exhaustive. Du reste, c'est ce souci d'exactitude qui plus d'une fois m'a bloqué : je me disais, tu n'en sauras jamais assez pour tout dire.

Mais je me suis rendu compte que "tout dire" est impossible. Rien que sur le sujet du ghetto, il faudrait des centaines de romans ou d'ouvrages en tout genre et même comme ça, c'est un sujet qu'on ne cernera jamais totalement. Qui plus est, je n'ai aucune origine ni aucune histoire familiale qui m'ait prédestiné à traiter ce sujet. Je m'y suis retrouvé catapulté, par les hasards de mon inspiration. Je fais comme je peux.

Je botte en touche, déjà, parce que mon personnage principal et narrateur, Wolfgang, est loin de tout savoir. Parfois, il se contente de la version officielle, ou de ce qui lui raconte son ami et mentor, Franz. Par exemple, lors de l'assassinat d'Ernst Röhm, il croit à la thèse du complot, montée de toutes pièces par Himmler et Heydrich.

Wolfgang est un suiveur. Contrairement au Max Aue de Littel, il n'est ni cynique, ni cruel, ni arriviste. Il s'est engagé dans cette aventure par naïveté, idéalisme et pour rester avec Franz. Il s'imagine que sans son ami, il serait incapable de tenir debout par lui-même.

Il faut savoir qu'ils se sont rencontrés, il avaient neuf ans. Franz a pris un énorme ascendant sur Wolfgang, c'est là le noeud de tout mon récit. C'est l'histoire d'une dépendance, d'une soumission, d'une fascination.

Le roman démarre donc dans les années 20. Et il se termine en 1945, avec une épilogue dans les années 60. Vous imaginez l'épaisseur ? Les souvenirs d'enfance, les premiers émois amoureux, l'adolescence, les relations au sein de la famille, l'entrée dans la Hitlerjunge, puis l'entrée dans l'âge adulte, les épreuves pour être admis dans la SS, et ainsi de suite. C'est énorme ! Même si je m'efforce de rendre les choses vivantes, intéressantes, de par la nature et l'ampleur d'une telle saga, je ne peux pas tout traiter. Encore moins de façon détaillée. Je fais des choix, des côtes mal taillées : je passe au crible certains aspects, en accéléré sur d'autres. J'en suis déjà à plus de 400 pages, format A4, interligne 1. Et je n'ai pas encore traité la révolte du ghetto. Vous vous représentez la masse que ça fera, quand j'aurai tout écrit ? ? ? C'est impossible, je ne peux pas tout cerner. Et quand j'ai été pris au piège de ce désir d'exhaustivité, peu à peu je n'écrivais plus, je n'avançais plus, je passais mon temps à accumuler des données, en me disant qu'il n'y en aurait jamais assez.

Alors oui, je botte en touche. Pour continuer à avancer. D'abord, Wolfgang ne sait pas tout, comme je le disais. Ensuite, tout nous est décrit pas son filtre subjectif : il est dépressif depuis qu'il est en Pologne, amené à tuer des gens. Il ne le fait que pour une seule raison : pour ne pas être séparé de Franz, son mentor, le pilier de sa vie - du moins, le croit-il. De plus, il est abondamment rempli d'alcool et de pervitine, pour tenir le coup. Il y a de quoi ébranler nettement sa vision des choses. Et puis, il est fuit dans l'alcool et la pervitine, pour ajoute encore à sa confusion. Il le dit, du reste, dès le tout début du chapitre 1 :

" Il m’est malheureusement impossible de me fier entièrement à ma mémoire. Elle a subi des chocs qui la rendent incertaine. Le passé flotte en moi comme des branches mortes à la dérive, agitées par les remous d’un fleuve boueux. Il y aura probablement des zones d’ombre, des lacunes, des manquements. Tant pis.
Mais, sans doute en vertu de la loi des contraires, les bribes gravées en moi auront la fulgurance et la netteté inébranlable de la dernière vision qu’a la victime avant d’être abattue".


Non seulement je botte en touche, mais, par choix, par habitude, de la façon la plus provocante possible. Le Roman Noir a pour vocation première - enfin, moi je le conçois ainsi - de choquer, de provoquer l'horreur. De part le sujet que je traite, c'est le cas. Et il est tout à fait logique de faire dire à Franz qu'il s'en fout, car lui est cynique, lui est brutal et c'est un nazi convaincu. Son attitude est, contrairement à celle de Wolfgang, tout à fait prévisible et conforme aux idéaux Nazis. Il sert de levier, d'exemple à l'horreur. Il est là, sous nos yeux, et on le voit de façon intime, puisque Wolfgang le suit partout, l'accompagne, l'imite, subit son influence.

Il est difficile pour moi d'écrire tout cela. Je suis obligé de me glisser dans la psychologie de tels personnages, de me représenter ce qu'ils pourraient penser, comment ils parleraient, agiraient, etc. Mais depuis toujours, quand j'écris, je me mets en danger. J'ai écrit sur des tueurs en série, sur des fanatiques sectaires, sur le sadomasochisme, sur toutes sortes de sujets qui n'ont pas de rapport avec moi. De plus, concernant le nazisme et ses méfaits, je n'ai aucun lien avec cette histoire, ni dans mes origines, ni dans le passé de ma famille. Pourquoi, alors ? Simplement parce que lorsque j'avais 11 ans et ne savais rien de ce sujet, on m'a amené un jour "voir un film". Je pensais qu'on allait nous projeter du théâtre filmé, du Molière, des choses comme ça, comme souvent. Et j'ai eu droit à "Nuit et Brouillard", de Resnais. Qui plus est, sans le moindre commentaire. Quand la lumière s'est rallumée, on nous a reconduits en salle de classe. J'ignore comment ont réagi mes camarades, mais moi, je n'ai plus jamais été pareil; et ça ressort maintenant. Voilà, je n'ai pas d'autre explication à donner. Ce qui me choque, je finis par le traiter. C'est ce qui fait de moi un écrivain de Roman Noir - et j'en suis fier. J'exprime crûment et sans détours ce qui me choque et me fait horreur. Cela fait des décennies que j'agis ainsi. Et plus c'est insoutenable, plus j'atteins mon objectif. C'est un genre dur, qui affronte les problèmes, qui regarde les choses en face. C'est pourquoi j'ai de plus en plus de mal à écrire : je ne suis plus dans l'état où j'étais quand j'ai commencé.

Voilà : Wolfgang ne sait pas tout, il a été aveuglé par Franz qui l'a séduit, fasciné. Il a été aussi aveuglé par la propagande et la façon don Baldur von Schirach a dévoyé la jeunesse - une bonne partie du roman est consacrée à cet aspect du Troisième Reich. La foi, l'engagement, la poudre aux yeux qui a poussé des milliers de jeunes Allemands à porter l'uniforme, dès l'âge de huit ans, ou même avant, allez savoir.

Tout cela fonctionne comme un engrenage, ce qu'on appelle en psychologie sociale une escalade d'engagement : à un moment donné, on s'est tellement engagé qu'on ne peut plus reculer, on est obligé de miser encore et toujours, des sommes de plus en plus énormes. Car si on arrêtait, on serait obligé de reconnaître qu'on s'est trompé, qu'on a perdu son temps et son âme. C'est ainsi que je traite Wolfgang : il comprend une fois en Pologne. Jusqu'alors, il n'avait pas du tout imaginé ce qu'il y ferait, en tant que membre du SD. Sur place, horrifié, il déchante mais tient bon : sinon, il serait séparé de Franz, situation qu'il ne peut envisager. Alors, il se bourre d'alcool. Et son ami Franz, volontairement, de façon cynique, l'intoxique à la pervitine. Franz ressemble beaucoup à Max aue, lui. Mais il n'est pas le narrateur.

Wolfgang, à la fin du roman, exprimera clairement l'amertume, la déception, le sentiment d'avoir été floué par Hitler, manipulé, utilisé. Déjà, quand il arrive en Pologne, il est choqué par ce qu'on attend de lui, mais pétrifié de peur à l'idée de s'éloigner de Franz, il se soumet. Il en est malade, il se saoule tous les soirs - comme beaucoup de ses camarades. Ensuite, en cours de route, sa mère décède, victime de l'opération T4. Quand il l'apprend, Wolfgang prend encore plus ses distances avec le régime. Mais pas avec Franz, qu'il admire et aime, qui est tout pour lui.

En fait, sans vendre la fin, disons que Wolfgang restera docile et obéissant, soumis, et ne reprendra conscience qu'au moment où Franz sera tué. Pas avant. Et là, ce sera la douche froide, le choc, la brutale prise de conscience, et la culpabilité, la compromission morale, la souillure indélébile.

Tel est le projet, extrêmement ambitieux, de ce roman. Pas moins.

J'espère juste que je serai à la hauteur.

Alors oui, je botte en touche. Par exemple, lors de l'insurrection de Varsovie, j'ai trouvé un procédé pour passer en accéléré et sauter directement à la case "siège de Berlin". Un artifice, mais sinon, je n'aurai jamais la force de finir, et mon lecteur se lasserait, lui aussi. Il faut quand même que ça reste un roman, quelque chose qu'on ait envie de suivre. Pas une punition. Je vais faire en sorte qu'on ne voie que le début de cette insurrection. Sinon, il y en aurait pour combien de chapitres, rien que sur ce vaste sujet ?

Qu'on me pardonne. Ce roman est une côte mal taillée. Du reste, plus j'avance dans la vie, plus je suis persuadé que TOUT, dans la vie, n'est qu'une côte mal taillée. La vie elle-même n'est qu'un compromis, un brouillon.

A vous lire,

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 14:06

Oui, il s'agissait d'une action concertée, un vaste plan d'ensemble, qui concernait d'autres ghettos. Mais ça, nous le savons après coup. Wolfgang, lui, n'a que son petit bout de lorgnette, il voit les choses à sa hauteur. Autre extrait, qui le montre bien :

"Franz m'avait dit, en repartant une fois, que c'était comme L'enfer, de Dante. J'avoue n'avoir pas lu cet auteur. Mais un jour, en discutant après une journée assez éprouvante, je lui demandai ce qu'il pensait de tout ça, dans quel but ? Nous étions dehors, à moitié trempés de sueur, et je m'en souviens encore, il s'était appuyé contre l'aile de la voiture. Il avait gratté une allumette sur le capot et, tirant une première bouffée, avait fini par me dire :
- A mon avis, Himmler a donné des instructions à Höfle. Je parierais que tout ça n'est qu'une étape.
- Ah bon ? Vers quoi ?
- La destruction totale des Juifs de Varsovie. Et même, si ça se trouve, de Pologne. On s’en est débarrassés chez nous, maintenant on fait pareil ici.
Sur le coup, ça m'avait paru excessif. Mais après tout, les rafles continuaient, tant et plus. On faisait irruption dans le ghetto, on attrapait tous ceux qu'on pouvait et on les emmenait à l'Umschlagplatz, où ils étaient jetés dans des trains, pour l'Est. D'après Franz, très probablement envoyés en KZ. Et puis, des rumeurs disaient qu'en Biélorussie, des Juifs s'étaient révoltés. Qui aurait cru ça d'eux ? La situation d'ensemble était-elle donc si grave ? En fin de compte, il pouvait tout à fait exister un plan global visant à les exterminer. J'aurais été mal placé pour le contester".

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 14:15

... Je vais quand même rajouter une phrase dans ma description de cette nuit, pour faire allusion à la presse clandestine, ou aux dissidents. Je ne sais pas trop.

Ce qui m'a gêné, c'est que par ailleurs j'avais lu que cette opération était simplement motivée par le fait qu'un Wolksdeutsche, en affaire avec une famille de Juifs, avait décidé de les faire liquider pour garder l'argent pour lui. Hésitant entre les deux versions, je m'étais dit que le plus probable, c'était encore que les gens envoyés sur place ne sachent même pas la raison : on leur disait d'y aller, ils obéissaient.
Dans le système nazi, le Führerprinzip était d'obéir, sans jamais chercher à comprendre. Obéir était devenu un réflexe. Du reste, dans le texte, ça apparait, puisque Wolgang est épuisé mais que sans hésiter il répond qu'il y va. Vous comprenez ma position ? Ce que je vois, c'est le mouvement d'ensemble, comme une sorte de chorégraphie. Wolfgang est narrateur, donc pièce privilégiée, puisque tout passe par lui. Mais en réalité, il n'est qu'un pion, une minuscule rouage dans l'énorme engrenage. C'est d'autant plus dérisoire qu'il se retrouve là simplement pour suivre son ami, c'est la principale raison. Incapable de décider par lui-même, il suit. Mais en même temps, comme il n'est pas idiot, il se rend compte de certaines choses et ça le ronge. Alors, incapable là encore de prendre vraiment ses distances, il fuit dans l'alcool et la pervitine.

S'il prenait ses distances, s'il arrêtait de commettre ces actes, que deviendrait-il ? Et, surtout, que me resterait-il à raconter ? J'ai, malgré moi, choisi de traiter ce sujet. Je dois donc aller jusqu'au bout. Je l'ai bien senti, dès le début, c'est pour ça que je me suis cabré, je ne voulais pas. Mais ce truc ne m'a plus lâché, ça a duré des jours...

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: Mik (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 14:42

Citation:
ubik83
Simplement parce que lorsque j'avais 11 ans et ne savais rien de ce sujet, on m'a amené un jour "voir un film". Je pensais qu'on allait nous projeter du théâtre filmé, du Molière, des choses comme ça, comme souvent. Et j'ai eu droit à "Nuit et Brouillard", de Resnais. Qui plus est, sans le moindre commentaire. Quand la lumière s'est rallumée, on nous a reconduits en salle de classe.
C'était bien dans les méthodes et le mode de pensée d'autrefois : un enfant ne pense pas, ne comprend pas, on peut lui montrer des films pour l'édifier, inutile d'en parler avec lui ni avant ni après, ce qu'il ressent n'a aucune importance...

Mik

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 14:48

... Possible. En tous cas, j'ai perdu mon innocence, d'un coup, d'un seul. Et je n'ai plus jamais été le même.

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 15:00

... en fait, si je veux terminer mon roman, c'est moi qui devrais prendre de la pervitine ! N'importe comment, je pense qu'au niveau insomnies, j'en suis à un tel point, ça ne pourrait être pire.

Re: Le 17 avril 1942 à Varsovie.
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 15:00

... Après tout, mon modèle, Philip K. Dick, écrivait sous amphétamines.

Sur la pervitine...
Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 07 mai, 2016 15:09

Voilà un de mes fichiers sources. Je m'y suis abondamment référé, j'ai écrit à des médecins... Ecrire un roman de cette ampleur, c'est un boulot énorme, inimaginable.


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