Tranche de vie
Posté par:
Wozniak (IP Loggée)
Date: 29 novembre, 2007 15:17
Lorsque j’étais petit, avant mes 4 ans, nous habitions sur une île.
Oui, oui, parfaitement, une vraie île avec de l’eau tout autour.
Mais ce n’était pas une île avec des palaces et des belles plages.
C’était une île ou il avait des vieilles maisons, construite en « simili-dur ».
Un enfant naissait, on rajoutait une aile à la maison avec des plaques de fibrociment.
Sur cette île, il y avait des gens qui me paraissaient bizarres et me faisaient un peu peur. Surtout leurs femmes, qui parlaient une langue inconnue. Elles étaient vêtues de grandes robes, un foulard sur la tête, qui dissimulait à peine les tatouages qu’elles avaient sur le front et sur les joues. Bien souvent, elles se regroupaient dans une boutique, décorée (la boutique) de lettres bizarres, qui devaient être des formules magiques, car j’étais certain que ces femmes étaient des sorcières
C’est pas péjoratif, sorcières, mais juste vu avec des yeux d’enfants.
Lorsqu’il faisait beau, ma grand-mère me mettait dans un bac en tôle galvanisée, et je prenais mon bain au soleil. Elle appelait le voisin, l’arménien, un vieil homme encore plus vieux que ma grand-mère, et il venait me chanter des chansons et me donnait à manger de la nourriture de son pays. Sûr qu’il voulait m’empoisonner avec ses feuilles de vignes farcies. J’aurai préféré manger la savonnette.
Il y avait aussi une vieille femme qui chantait dans la rue. Quelquefois, les hommes se rassemblaient, traçaient sur le sol une grande ligne avec de la craie. Il fallait qu’elle marche sur la ligne. C’était vraiment un drole de jeu, chaque fois qu’elle perdait, ils lui donnaient à boire. Lorsqu’elle avait assez joué, elle se couchait par terre, et elle dormait.
Un peu plus loin, il y avait le juif. C’est comme ça que les gens l’appelait. Il était gentil cet homme, bien poli, mais c’était le juif.
Il était le juif, comme nous, nous étions les polaks, les sales polaks.
Pourquoi sales d’ailleurs, puisque on se baignait, l’arménien était témoin.
Il y avait madame Jeanne, une autre vieille femme, qui faisait des cartes postales. Des cartes postales parfumées, avec du brillant collé dessus, des cartes postales qui se déplient lorsqu’on les ouvre.
Il y avait aussi chez le russe, une boutique qui sentait bon et avec plein de choses étonnantes.
Le russe, il me donnait toujours quelque chose, un bonbon, une datte, une poignée de cacahuettes qu'il tirait d'un grand sac .
J’ai su plus tard que je ressemblais à son fils, tué dans un bombardement.
Sa femme aussi était morte le même jour. Sous ses yeux.
Dans la boutique du russe, il y avait un cageot rond, en bois, avec des harengs fumés, bien rangés en cercle, la queue vers le centre, et la tête vers l’extérieur. Je regardais ces harengs pendant des heures, cela me fascinait. Tous ces harengs, aux reflets marron, bleus, blanchâtres, qui brillaient et transpiraient le gras.
Pourquoi cette fixation sur les harengs.
Peut-être parce que mes arrières grands parents, en Pologne, achetaient quatre harengs, les jours de fête.
Quatre harengs pour eux et leurs 14 enfants, ça ne faisait pas beaucoup.
Ha, ça me revient, j’étais parti pour vous écrire que je viens de faire quelques emplettes à la grande surface du coin, et que je me suis acheté quatre harengs, des bouffis, comme on dit par ici.
Je vais donc leur retirer la tête, la peau.
Ensuite je lève les filets en laissant le moins d’arêtes possible, dans la foulée, je mange la laitance.
Ensuite je les mets dans un récipient, je couvre de lait. Et je mets au frigidaire 2 jours.
Au bout de 2 jours, je les égoutte, je remets les filets dans le récipient rincé, et je laisse reposer au frigidaire avec de l’huile et des rondelles d’oignons.
Le lendemain je rajoute des pommes de terres cuites à l’eau et coupées en rondelles. Encore une journée de frigo et je mange.
Et vous, votre recette, c’est comment ?
Ps : c'était l'île Saint-Germain, sur la Seine.