Les retours des Polonais de France ; 1945/1949 (1)
Posté par:
Paul (IP Loggée)
Date: 15 mai, 2011 15:18
Les retours des Polonais de France vus par les associations et groupements politiques polonais
en France, de 1945-1949.
Szulc Joanna
Université Paul Verlaine Metz
Introduction :
A la fin de la Première Guerre Mondiale, la France est pour une grande partie dévastée, elle a besoin d'une nombreuse main d'œuvre pour reconstruire le pays et faire redémarrer l'économie nationale.
Dans ce but, la France choisit la Pologne, nouvelle démocratie et signe le 3 septembre 1919 une convention relative à l'émigration et l'immigration. Les mineurs et les ouvriers polonais viennent s'installer en masse avec leurs familles dans les régions industrielles ou agricoles qui nécessitent une main d'œuvre abondante. La population polonaise passe de 45.766 personnes en 1921 à 507.811 en 1931. Les Polonais sont installés principalement dans les bassins houillers du Nord et du Pas de Calais, de la Moselle mais aussi dans les zones de grande culture dévastées de l'Aisne, de l'Oise et de la Somme.
En 1939, la communauté polonaise reste étonnamment homogène et a peu changé malgré sa fixation prolongée. En fait beaucoup de polonais après une expérience déjà assez longue en France ne ressentent pas comme un vrai problème une insertion dans la société française. Au fond ils ont voulu et ont pu récréer une micro société qui les satisfait.
L'entrée dans la guerre de cette communauté va entraîner de nombreux bouleversements en son sein. Elle est dans une situation délicate puisqu'elle doit se battre pour son pays, mais aussi défendre son pays d'accueil. L'arrivée au pouvoir de Pétain ne laisse plus de place au doute pour la majorité des mineurs polonais qui décident de s'enrôler dans la résistance.
L'occupation allemande porte un coup fatal aux associations polonaises, la renaissance de ces associations est préparée dans la clandestinité par des groupements qui se manifestent dès 1941 en participant de manière autonome ou non à des actions de résistance.
La résistance polonaise se regroupe principalement dans deux mouvements distincts le POWN (Polska Organizacja Walki o Niepodleglosc) organisation polonaise de la lutte pour l'indépendance et le PKWN (Polski Komitet Wyzwolenia Narodowego) comité polonais de libération nationale.
La POWN se constitue sur le territoire français après la débâcle de juin 1940. L'objectif affirmé de la POWN était de constituer une force strictement polonaise distincte de la résistance française et utilisable pour contrebalancer le plus possible après la guerre, le poids de l'URSS en Europe. Le mouvement était soutenu et recevait ses directives du gouvernement polonais en exil à Londres.
Le PKWN quant à lui est fondé à l'initiative de la résistance, en Pologne même, et avec l'aide des immigrés à Moscou, se développe en un comité de libération nationale, ses membres étant disséminés dans les différents groupes de résistance et notamment dans les groupes FTP MOI. C'est en avril 1944 que la politique d'Union Nationale aboutit à la formation d'un PKWN à l'échelle de toute l'immigration polonaise en France.
Les divisions au sein de la communauté polonaise pendant la guerre ont eu des conséquences d'autant plus importantes que la Pologne connaît de profonds bouleversements à la fin de la guerre avec la modification de ses frontières.
La fin de la Seconde Guerre Mondiale marque une période de bouleversements pour la Pologne, ses frontières ont changé. La Pologne perd des territoires à l'Est avec les villes et les régions de Lwow et de Wilno mais reçoit des compensations à l'Ouest et au Nord avec le rattachement des grands centres urbains de Gdansk, Szczecin et Wroclaw. Pour reconstruire son pays et remettre en marche son économie, la Pologne devait faire appel à la plus grande main d'œuvre possible. Au prime abord le gouvernement provisoire devait faire appel à toutes les personnes déplacées qui se trouvaient en Europe et ensuite seulement faire appel à ses compatriotes qui ont émigré pendant l'entre-deux-guerres. Ce dernier mouvement est appelé en Pologne la « ré-émigration ».
Le rapatriement a débuté en juin 1945, au moment du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et la Pologne. La « ré-émigration » se différenciait principalement du rapatriement parce qu'elle nécessitait des accords diplomatiques entre la France et la Pologne. Ces « ré-émigrants » avaient tous pour la plupart une situation professionnelle et familiale et devaient être certains que le gouvernement polonais pouvait leur offrir de bonnes conditions de retour.
Le chiffre des retours est difficile à évaluer, les chiffres français tablent sur 50.000 personnes environ alors que les autorités polonaises sur plus de 70.000 personnes. Le chiffre le plus probable est celui apporté par Franciszek Kusiak, 61.233 personnes, ce qui représente 17% de la population totale des Polonais en France.
Il est intéressant de s'interroger sur ce processus de retour et de savoir comment ces personnes ont été encadrées dans leur choix définitif.
I : La colonie polonaise en France, reflet de la situation de la Pologne sur la scène internationale.
A) présentation de la situation politique et géopolitique de la Pologne à la fin de la guerre
A Yalta, en février 1945, le protocole précise que la frontière orientale doit suivre la ligne Curzon, au niveau politique, il indique que le gouvernement provisoire doit être élargi aux représentants des partis démocratiques agissant à l'intérieur comme à l'extérieur et que la tâche prioritaire du nouveau gouvernement provisoire d'union nationale est de procéder, le plus rapidement possible à des élections libres.
Le 28 juin 1945 est proclamé le gouvernement d'union nationale majoritairement communiste. Très vite ce gouvernement est reconnu par les puissances alliées, l'URSS, la France, les USA et l'Angleterre, ce qui enlève toute accréditation au gouvernement polonais de Londres. Ce dernier n'a d'autre possibilité que de maintenir une certaine conception d'une Pologne indépendante.
a : nombre des Polonais en France à la fin de la guerre, répartition démographique et géographique
Il est difficile d'évaluer numériquement le nombre de Polonais en 1945, car non seulement aucun recensement n'est disponible mais aussi car cette population a connu pendant la guerre de très nombreux déplacements de population. Au 1er janvier 1939 la population polonaise comptait 480.000 personnes, la guerre mobilise plus de 70.000 hommes. Pendant la guerre la France va connaître un afflux de civils polonais. 180.000 personnes sont employées dans les départements occupés par les Allemands (Ardennes, Haute Marne, Meuse et Meurthe et Moselle) pour travailler dans les grandes fermes et plus de 80.000 polonais travaillent pour l'association TODT. En 1946, la population polonaise compte 423.443 personnes sur le territoire français.
Quant à la répartition géographique des Polonais de France elle ne subit aucune modification par rapport à celle de l'entre-deux-guerres. Ce sont toujours les départements industriels du Nord et de l'Est, ainsi que les régions agricoles de l'Ile de France, qui regroupent le plus de Polonais.
La « ré-émigration » et le rapatriement prenaient une place importante dans la politique du gouvernement de Londres comme dans le gouvernement de la Pologne populaire. Une vive propagande a été menée par ces deux forces politiques pour encourager ou décourager le retour au pays. Le gouvernement polonais en exil voulait maintenir le soutien des puissances de l’ouest, mais a commis un certain nombre de maladresses vis-à-vis de l’émigration polonaise. Cela concernait surtout le lieu d’installation des « ré-émigrés ». Le gouvernement de Londres ne voulait pas accepter les nouvelles extensions vers l’ouest et préférait garder les territoires de l’est.
Le gouvernement provisoire de Lublin a profité de ce discrédit pour mettre en place une véritable propagande et de nombreux moyens pour faire revenir ses compatriotes, émigrés pendant l'entre-deux-guerres. Mais jusqu’à la fin de 1945, rien n’a été fait pour leur retour; la principale priorité du gouvernement provisoire était de rapatrier au plus vite les déplacés des autres régions ainsi que tous les prisonniers de guerre.
Ainsi au milieu de 1945, l’immigration polonaise sort de la guerre aussi divisée qu’elle était avant, mais les lignes de partage ne sont plus les mêmes, et les contours des différents camps sont beaucoup plus nets. D’un côté, nous trouvons le bloc dominé par les communistes, de l’autre, le camp légaliste, fidèle au gouvernement de Londres en exil, et enfin la troisième composante de la vie associative, le mouvement catholique qui demeure à l’écart de ces deux mouvements.
B ) Transposition de la division politique polonaise en France
création de trois entités différentes, avec leur propre appareil politique, économique et idéologique
présentation de ces trois groupes, leur naissance et leur évolution, leurs oppositions, notamment sur les questions politiques et leur positionnement sur les retours
1 : Rada Narodowa Polakow we Francji - Conseil National des Polonais en France (plus loin RNP)
Le conseil national des Polonais en France soutenait l’idée d’un retour rapide des ressortissants polonais. Ce groupe politique puise ses racines dans les sections polonaises des syndicats français tels que la CGT et dans les groupes de langues du parti communiste français.
Le principal journal énonçant leurs idées est la Gazeta Polska (La gazette polonaise), journal polonais fondé sous l’occupation en 1941, édité à Paris entre septembre 1945 et décembre 1952.
Le comité polonais de libération nationale en France a animé des congrès pour décider du devenir des émigrés polonais en France. Ce comité a présenté lui même un programme bien précis du déroulement des rapatriements et de la « ré-émigration ».
Le deuxième congrès (du 28 au 30 juillet 1945) réunissait 448 délégués ainsi qu’une dizaine de représentants du gouvernement et de partis politiques polonais avec des représentants du gouvernement français. Ce congrès a présenté le déroulement du rapatriement et de la « ré-émigration » :
• tous les départs doivent être organisés après le rétablissement des communications et le recouvrement des relations diplomatiques entre la France et la Pologne, pour qu’il soit possible de mettre en place le rapatriement et la « ré-émigration »
• le rapatriement doit être géré par les consulats et la croix rouge polonaise
• les premiers à partir sont les déportés et les personnes arrachées à leurs foyers et à leurs familles à cause de la guerre
• ensuite partent les prisonniers de guerre
• sans conditions partent les personnes les plus importantes pour la Pologne : les représentants sociaux, les spécialistes dans différents domaines et des artistes
• ensuite les « ré-émigrés »
Après le congrès libre, le PKWNF a été transformé en Rada Narodowa Polakow we Francji (conseil national des Polonais en France), il a élargi ses bases et désormais admet dans son comité directeur et dans ses diverses sections des organismes tels que:
• la fédération des ouvriers polonais
• la caisse de secours
• la CGT polonaise
• les anciens combattants d'Espagne
• les commerçants polonais
Le conseil national, communiste ou pro-communiste, dont le comité directeur est à Paris, comprend des comités locaux disséminés dans différentes colonies. L'organisation du conseil national des Polonais en France comprend trois filiales qui sont OPO (organisation pour la Patrie), Grunwald (association pour la jeunesse polonaise) et Maria Konopnicka (association féminine).
Ces trois organisations se proposent au sein du conseil national des Polonais en France de soutenir le gouvernement de Varsovie par tous les moyens immatériels et matériels et d'apporter une aide financière et morale à leurs partisans.
Le Conseil a fait une intense propagande pour le rapatriement des Polonais de France en Pologne.
Ce groupement était le seul à présenter réellement un projet concret pour la préparation des retours.