Tomek 6280 a écrit :
"Les tragédies uniques en Europe qui se sont déroulées en Pologne durant la seconde guerre mondiale et la
transformation radicale de la société Polonaise provoquée par cette guerre ont profondément marqué les Polonais et demeurent toujours dans leur mémoire collective y compris dans celle des générations d’après guerre"
Je voudrais rebondir sur cette remarque très importante, en l'enrichissant d'une découverte que je dois à la lecture du blog de Jean-Yves Potel (merci au passage à phbichon) qui présente l'analyse de la situation actuelle en Pologne que fait un certain Andrzej Leder :
[
blogs.mediapart.fr]
Andrzej Leder est l'auteur d'un essai intitulé
Prześniona rewolucja. Ćwiczenie z logiki historycznej qui a été publié en 2014. Jean-Yves Potel résume très bien l'idée directrice de cet essai ainsi :
"La « révolution passive », ou plus exactement celle qui a été vécue comme dans le sommeil, s’est déroulée pendant la guerre et au-delà – de 1939 à 1956. C’est une révolution sociale parce que les destructions massives de populations (environ 17% des habitants y compris les trois millions de Juifs pendant la Shoah) et les expulsions d’après-guerre (6 millions d’Allemands, 500 000 Ukrainiens), ont créé « un vide social », ont défiguré la société. En plus de la destruction des Juifs, on a assisté au démantèlement des structures traditionnelles à la campagne, puis ce fut l’urbanisation et l’industrialisation autoritaire. « Ce vide a été rempli par de nouvelles classes urbaines venues directement de la campagne. » Or cette révolution imprime sa marque sur toutes les évolutions de la Pologne pendant la seconde moitié du XXe siècle, jusqu’à aujourd’hui. Marque sociale, avec la montée des élites issues de cette nouvelle classe moyenne urbaine. Marque imaginaire, dans la mesure où elle a été vécue comme un cauchemar et n’a pas trouvée sa place dans les représentations collectives. « Cette ascension d’une nouvelle classe moyenne n’a jamais été légitimée par l’imaginaire national. Elle a d’abord été justifiée par les communistes, puis cette relation est entrée en crise, au profit de l’opposition démocratique. » On les retrouve jusqu’à aujourd’hui. Or « ni le parti communiste, ni l’opposition démocratique ne sont parvenus à construire, aux yeux d’une grande partie de la population, une légitimation durable de cette promotion. » Pour prendre l’exemple de la dernière période, il [ = A. L.] me [ = J. Y. P.] cite le « double langage » des tenants de la transition démocratique : d’un côté l’affirmation de grandes valeurs humanistes (les droits de l’homme, la liberté, la démocratie) et de l’autre des pratiques économiques ultralibérales qui rejettent une partie de la société. Notamment celle qui a porté le changement, la classe ouvrière. Les deux discours se détruisent mutuellement. « C’est la raison pour laquelle la légitimité démocratique ne s’est pas profondément ancrée dans l’esprit populaire, et que remontent les vieilles traditions romantiques du XIXe siècle. La rhétorique du martyre, de la souffrance, de la Pologne Christ des nations, etc. » Le fond du désaccord entre ces élites et la Pologne profonde viendrait de cette crise de légitimité."
Tout le problème de la Pologne démocratique est donc qu'elle n'a toujours pas trouvé le discours historique et les symboles qui permettraient de mettre d'accord au moins les deux-tiers de Polonais qui se reconnaissent dans la même Constitution, à savoir celle de 1997. Certains idéologues du PiS cherchent à remplacer Lech Walesa par Anna Walentynowicz dans la fonction de figure-symbole de Solidarnosc, tandis que d'autres, ceux qui ont violemment critiqué
Ida, en tant que descendants de paysans polonais se sentent
offensés de voir leurs ancêtres représentés sous les traits du paysan que l'on voit dans
Ida. Ils voudraient qu'il soit représenté sous les traits de la famille Ulma.
Oui mais, le martyr des Ulma n'est pas venu des seuls nazis: voir
[
fr.wikipedia.org]
Tout serait exact dans ce résumé en langue française de l'histoire de la famille Ulma, si le pro-PiS qui a écrit cet article avait précisé que le fameux "agent de police d'origine ukrainienne" à l'origine de la dénonciation était un Polonais originaire de Galicie Orientale (région de Lwow) qui servait dans la Policja Granatowa (ou police bleu marine), comme nous le dit l'article polonais sur les Ulma :
[
pl.wikipedia.org])
Que voulez-vous, on ne peut quand même pas jouer à ce jeu permanent du gommage des responsabilités individuelles polonaises, si on veut que le martyr de la "Pologne - Christ des nations" soit reconnu par ces autres martyrs polonais qu'étaient les citoyens polonais de nationalité juive qui vivaient à côté des citoyens polonais de nationalité polonaise avant 1939. Et il faut tout simplement reconnaître les crimes polonais à l'égard des juifs, comme le fait le paysan de
Ida, tandis que Wanda ( = le procureur stalinien) se suicide.
Pour les catholiques qui se reconnaissent dans la Constitution de 1997, Jean-Paul II avait indiqué un chemin pour faire avancer le problème de la réconciliation polono-juive en nommant les juifs "frères aînés des chrétiens dans la foi". Certains catholiques polonais ont suivi sur cette voie, et c'est ainsi que ce sont les éditions Znak qui ont publié la version polonaise des "Voisins" de Jan Gross. Malheureusement, l'Eglise Polonaise actuelle semble ne pas tenir compte de cet enseignement de Jean-Paul II et ne le rappelle guère à ses fidèles dans le sermon du dimanche.
Pour finir, pour ceux qui comprennent le polonais, je renvoie à une conférence de Andrzej Leder qui m'a inspiré cette réflexion :
[
www.youtube.com]